© Copyright 2015, L'Obs La Syrie est devenue la plaque tournante de production et de consommation du Captagon, une amphétamine utilisée par les combattants djihadistes.
C’est une petite pilule blanche qui permet d’oublier la douleur et la peur, très prisée en Syrie : le Captagon est le meilleur allié des djihadistes de l’Etat islamique (EI). Mais Daech n’est pas le seul à avoir recours à cette drogue à base d’amphétamine : sur le front militaire syrien, les membres d'Al-Nosra et les soldats de l’Armée syrienne libre (ASL) l’utilisent également pour se donner du courage.
Les effets du Captagon sont multiples, à en croire un trafiquant interviewé par Arte : "Ça donne la pêche, tu te mets à combattre sans te fatiguer, tu marches droit devant toi, tu ne connais plus la peur. Les combattants l’utilisent pour veiller, pour contrôler leurs nerfs et augmenter leurs performances sexuelles." Et peu importe que son utilisation soit interdite par l’islam, puisqu’"aujourd’hui tout le monde s’en fiche de la religion."
Interrogé par Reuters, un officier de la brigade des stupéfiants de Homs se rappelle l'attitude surprenante des prisonniers sous l'emprise de Captagon : "On les frappait et ils ne ressentaient pas la douleur. La plupart d'entre eux rigolaient alors qu'on les bourrait de coups."
Une drogue à l’origine d’une économie de guerre
Ce médicament créé en 1963 était initialement prescrit pour soigner les troubles de la concentration et la narcolepsie, avant d’être placé sur la liste des substances psychotropes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1986. Le Captagon est depuis interdit dans la plupart des pays, y compris en France, où il est classé comme "produit stupéfiant" par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS).
Aujourd’hui, la Syrie est devenue la plaque tournante de la production et de l’exportation du Captagon, très facile à contrefaire. Jusqu’en 2011, le centre névralgique de fabrication de ce psychostimulant se situait au Liban. Mais, depuis le début du conflit syrien, la production locale de Captagon aurait chuté de 90%, selon un trafiquant interrogé par Reuters. Les usines ont déménagé en Syrie, où le chaos ambiant constitue une couverture idéale.
Le Captagon n’est donc pas seulement une drogue de terrain. Son trafic a entraîné la naissance d’une véritable économie de guerre, selon Radwan Mortada, spécialiste des mouvements djihadistes : "Les milices en Syrie en consomment une partie mais elles l’exportent aussi vers l’étranger, notamment vers les pays du Golfe. Les gains leur permettent de financer l’achat de leurs armes et leurs opérations militaires."
Entre 5 et 20 dollars le comprimé
Ainsi, "un sac qui contient 200.000 pilules rapporte 1,2 million de dollars une fois arrivé à destination". Des bénéfices d’autant plus importants qu’il suffit seulement "de quelques milliers de dollars" pour produire une telle quantité de Captagon.
L’Arabie saoudite est particulièrement friande de cette amphétamine : 55 millions de pilules y sont saisies chaque année. Et ces chiffres ne font qu’effleurer la réalité, puisqu’ils ne représentent que 10% des pilules en circulation dans le royaume, selon le rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue (UNODC) publié en 2013.
Sur le marché syrien, un seul comprimé coûte entre 5 et 20 dollars. Selon George, un psychiatre syrien qui a traité de nombreux cas dans sa clinique de Lattaquié, "la consommation de Captagon - et d'autres comprimés - s'est accrue après la révolution, y compris chez les civils, en raison des pressions psychologiques et économiques qu'ils endurent".
12 millions de pilules saisies en 2013
L’essor du Captagon n’est pas étranger à l’explosion des saisies d’amphétamines dans le monde, qui ont quadruplé en l’espace de cinq ans. Sur la seule année 2013, la police libanaise a intercepté plus de 12 millions de pilules de Captagon. Plus récemment, à la mi-mai, le Liban s’est félicité de l’arrestation d’un baron de la drogue spécialisé dans le trafic de Captagon.
Quatre ans après le début du conflit syrien, la drogue qui stimule les combattants djihadistes et finance leur armement pourrait bien devenir le nerf de la guerre.
Alexis Orsini