J’ai connu un temps où Philippe Muray était persona non grata chez bien des libraires, et particulièrement à la FNAC où il fallait réclamer ses livres avec beaucoup d’insistance et s’offrir un quart d’heure de spéléologie au fond du rayon linguistique avant d’apercevoir une couverture. Je n’invente rien. Aujourd’hui, Muray est récupéré par tous les Tarfuffe dont il s’est largement payé la tête et la bonne conscience dans tous ses écrits, alors de là où il nous regarde, il doit bien rigoler !
Ce dimanche, comme tous les 21 juin, l’Homo festivus qu’il a disséqué avec tant de talent acide était à la fête. La « fête de la Musique », cette apothéose de la gauche égalitaire, avec Jack Lang, son géniteur, dans la posture du phare éclairant le monde. Car, nul ne l’ignore, tout comme notre Révolution française a offert au monde les droits de l’homme, Jack Lang a offert à la planète la fête de la Musique.
Culture pour tous, tous cultureux et bientôt tous incultes… qu’importe, l’important pour nos politiques, c’est le mot « tous ». Notre Président étant venu promener sa mine réjouie au concert du trompettiste Ibrahim Maalouf (sans doute parce que ça sonne mieux qu’Éric Le Lann) nous a expliqué que « la fête de la Musique, c’est la musique pour tous et la musique par tous », ce qui est, dit-il « la plus belle image qu’on puisse donner de la démocratie ». À quoi son ministre Fleur Pellerin a ajouté cette pernicieuse niaiserie : « C’est pour ça que j’ai souhaité qu’on ait au ministère de la Culture des concerts participatifs où le public est un acteur de la musique, pas seulement un spectateur. »
Charles Consigny l’écrivait ce matin sur le site du Point : « Il fallait y penser ! Il me tarde d’assister aux concerts de la Philharmonie où le public pourra s’emparer des violons, hautbois et autres clarinettes pour marier son talent à celui des musiciens ! Que de belles symphonies en perspective ! Quel bonheur que d’être tous égaux à ce point ! »
On aurait tort d’en rire car il y a là l’expression de l’idéologie mortifère qui est en train de détruire ce qui a fait pendant des siècles l’honneur de ce pays : l’apprentissage, l’effort, le dépassement de soi et, au bout, l’excellence comme récompense. En effet, poursuit Consigny, « dans le monde de Fleur Pellerin, dans l’esprit de la gauche, il n’y a pas de génie, pas de faculté, pas d’aptitude particulière, et surtout il n’y a pas de travail, pas de compétence ni d’expérience : il n’y a que l’égale possibilité pour chacun de faire tous la même chose ».
Fleur Pellerin, François Hollande ou Jack Lang et leurs semblables détestent, dans la culture, l’idée qu’il faudrait se cultiver. Ils ont la cervelle formatée des Pol Pot et de leurs épigones, réservant aux leurs les bonnes écoles et les bonnes filières pour mieux vendre à la populace leur gloubi-boulga égalitaro-progressiste. Même travesti de bonne conscience, cela s’appelle le mépris.
On donnait ce samedi à la Philharmonie de Paris le Te Deum de Berlioz, un concert voulu comme témoignage de « l’excellence de la pratique amateur » ; celle qui n’a parfois comme différence avec la pratique professionnelle que l’épaisseur d’un chèque à la fin du spectacle. Ce fut une semaine de longues répétitions quotidiennes sous la baguette d’un chef épris de perfection, des heures exigeantes, fatigantes, mais tellement enthousiasmantes jusqu’à ce moment de bonheur intense et de fusion, récompense hors du commun que seul permet d’obtenir un travail aussi minutieux qu’acharné. Aux antipodes du ministère et de sa proposition de « grande improvisation collective ».
Au nom de l’égalité, cette potion qu’on nous sert, « puant sirop de la morale consensuelle » comme l’écrivait Philippe Muray, est en train de tuer dans l’œuf les réels talents qui ne demandaient qu’à éclore.
Source : http://www.bvoltaire.fr